La Maljoyeuse, 1962, avec les petites fenêtres en façade. À gauche, on peut encore apercevoir l’ancien hangar en bois.

Mémoire d’un lieu singulier
et souvenirs en pagaille

Nostalgie, quand tu nous tiens…

La Maljoyeuse, disparue, c’est cette petite maison qui n’en finit pas de nous manquer. On y a passé beaucoup d’instants précieux, nous l’avons vue évoluer avec le temps, elle nous rappelle évidemment plein de souvenirs. Et elle nous a vus grandir aussi, elle fait un peu partie de notre ADN.

Quand on aime la vie, on aime le passé, parce que c’est le présent tel qu’il a survécu dans la mémoire humaine.”
Marguerite Yourcenar,
Les yeux ouverts
La Maljoyeuse en 1967.
Hiver ’68.
L’âtre, indispensable ami.

La vie quotidienne à La Maljoyeuse avec son manque de confort nous a apporté quelque chose de rare : l’authenticité du rudimentaire, une sorte de retour aux sources que chacun aura vécue avec plus ou moins de bonheur. Profiter d’une belle soirée au coin du feu, en hiver, c’était bien. Anticiper et trouver le bois, le couper, le stocker, le laisser sécher, c’était du boulot, mais c’était bien. Mettre un peu d’eau dans une casserole émaillée des années ’50 dont personne ne voulait plus pour faire cuire quelques spaghettis qui finiraient malgré tout tièdes dans l’assiette, ce n’était pas rien : pas d’eau courante, ici, mais c’était bien. Les lérots, souris et autres rongeurs acrobates qui couraient partout avaient la fâcheuse tendance à s’occuper de nos pâtes bien avant nous, mais ça aussi, c’était bien.

Se satisfaire de ce qu’il y avait

Des meubles glanés ici et là, loin d’être assortis, un ou deux fauteuils, un ou deux canapés en velours olive étaient loin d’être confortables. Mais il n’y avait pas de plus grand réconfort que d’y passer une soirée, tantôt seul, tantôt avec des potes, à méditer devant la cheminée ou à refaire le monde. Les plaisirs étaient simples et un jeu de cartes pouvait occuper pendant tout le séjour. Évidemment qu’on n’a jamais retrouvé l’as de pique, mais il avait été remplacé depuis longtemps par le roi de cœur d’un autre jeu, barré avec un stylo humide laissé là, par le précédent, dans le tiroir de la cuisine. Les cartes portaient le poids du temps et trahissaient toutes les parties précédentes, jouées à mains sales, mais on jouait.

Les deux cruches en plastique turquoise, pour aller puiser l’eau du puits. La bassine jaune pour faire la vaisselle, les lits superposés trop petits aux sommiers défoncés, la « chambre bleue » et ses lits en fer forgé, plus défoncés encore. Une toilette pour le moins rudimentaire. Les hamacs suspendus entre les sapins majestueux. La route. Des fois, la peur, la nuit, quand les chouettes causent aux sangliers dans les bois. Les cannes à pêche en bambou, leurs flotteurs et les petits plombs qu’il fallait ajuster à la profondeur momentanée de la rivière. L’odeur de feu, partout. Le grenier et ses innombrables nids de guêpes. La lune, les étoiles et les orages comme nulle part ailleurs.

Il y avait aussi le vieux fouet en fer blanc qui avait connu 14-18. C’était génial comme il nous faisait une incroyable pâte à crêpes dans ce saladier désuet qu’on avait toujours connu, émaillé avec les grosses fleurs sur fond beige un peu craquelé. La poêle en fer, bien lourde, faisait vraiment beaucoup de bruit sur la cuisinière au gaz des sixties. Et sa poignée nous brûlait les mains : retourner les crêpes à mi-cuisson, il faut bien le dire, c’était assez sportif. Mais au final, ça donnait le meilleur souper du monde, à la lueur des chandelles.

Toujours quelque chose à faire

S’occuper du bois, de l’eau, de l’éclairage, c’était le minimum vital. Il y avait toujours quelque chose à améliorer ou à réparer. Ça faisait partie des plaisirs de l’endroit. Dehors ou dedans, il y avait toujours à faire, avec les outils disponibles, c’est-à-dire pas grand-chose : un gros marteau, une hache, un tournevis un peu trop grand et une poignée de clous tordus et rouillés qu’il fallait redresser au préalable. Rien de sophistiqué, mais la débrouille à chaque étape. Et ça marchait.

Bref, le minimal était maximal.

La Maljoyeuse

Depuis 1915

« La Maljoyeuse » a été construite entre 1914 et 1915 le long de la route Bertrix-Herbeumont afin d’y loger le chef de gare de Cugnon-Mortehan. Mais la guerre éclate, les Allemands s’emparent rapidement de la ligne ferroviaire 163A : l’armée allemande y installera plutôt l’officier chargé du contrôle des activités économiques de la région : ardoisières, chemin de fer et exploitation forestière. À la fin de la Première Guerre mondiale, elle devient propriété de l’État belge et servira finalement de logement pour le chef de gare de Cugnon-Mortehan durant l’entre-deux-guerres. En 1941 , elle devient une propriété privée. En 1961, elle est acquise par M. Leclercq-Bocken et restera dans la famille jusqu’à nos jours.

Bâtie sur un promontoire en pleine forêt qui domine le site des anciennes ardoisières de Wilbauroche, son accès était aisé, tant par la route que par le chemin de fer qui desservait la petite gare de Cugnon-Mortehan, située à quelques centaines de mètres. La maison était assortie de dépendances dont un grand hangar en bois qui subsistera jusque dans les années 1970.

Le nom

On baptisera la maison du nom d’une carrière à ciel ouvert située dans un lieu-dit tout proche : La Maljoyeuse. Ce nom a probablement été donné par les scaltions (ouvriers ardoisiers, en wallon), qui y voyaient s’arrêter la malle-poste Bertrix-Herbeumont quotidiennement en fin d’après-midi.

C’était le signal de la fin imminente de la journée de travail. Ils pourraient alors se rendre dans un des multiples troquets qui jonchaient la vallée à l’époque de l’extraction ardoisière.

Cet arrêt de la malle-poste (sorte de diligence de l’époque, tirée par deux chevaux) aurait donné son nom à la carrière toute proche : « la malle joyeuse », puis, par contraction, la Maljoyeuse.

La Malle-Poste de Bertrix-Herbeumont avait pour attelage 2 chevaux conduits par un cocher installé sur le siège avant. Deux passagers pouvaient prendre place à côté du cocher et huit places étaient aménagées sur deux bancs dressés face à face dans le caisson vitré. Les bagages étaient rangés sous une bâche aménagée sur le toit du caisson.  La caisse était, suivant le règlement de la Poste, de couleur noire et les roues étaient peintes en rouge et jaune.
La Malle-Poste partait de la gare de Bertrix vers la Maurépire et les ardoisières de la Maljoyeuse et de Linglay avec une halte au café relais de Linglay près de Mortehan pour le « ramassage » de clients éventuels puis direction Herbeumont en longeant la Semois. Dans la province de Luxembourg, en 1890, une trentaine de Malles-Poste assurent les circuits répertoriés.  En 1914, au moment de déclaration de guerre, une vingtaine existent encore, mais avec la construction de la voie ferrée entre Bertrix et Muno, la Malle-Poste de Bertrix-Herbeumont fut abandonnée dès 1913.
La route en contrebas de la Maljoyeuse au début du 20e siècle, encore appelée route de Mortehan. On distingue le talus à droite où était « La Maljoyeuse » et une petite cabane plus loin dont il ne subsiste rien.
La route aujourd’hui, au même endroit, rebaptisée plus tard Route des Ardoisières puis Route du Babinay (nom actuel).
La Maljoyeuse en 1922, vue depuis la route Herbeumont-Bertrix, sous le pont de Wilbauroche.
La Maljoyeuse vers 1925.
La maison en 1962, avec ses fenêtres hautes qui seront agrandies plus tard.
1962. En contrebas, des ruines des anciennes ardoisières de Wilbauroche sont encore bien visibles.
Vue depuis les chemins le long de la rivière en 1962.
L’arrière de la maison et vue latérale.
En 1964, les fenêtres de la façade sont déjà bien plus grandes.
La salle à manger coquette, en 1965.
Feu ouvert et jolie lampe à gaz, 1965.
1965.
Vue depuis la route, avril 1968.
La Maljoyeuse sur son promontoire, en 1972, vue depuis les abords du ruisseau d’Aise.
Ici, ni eau potable, ni électricité. La cuisine est spartiate : le feu ouvert, le poële à bois et la cuisinière à gaz sont les seuls conforts de l’endroit. Une citerne récolte l’eau de pluie et la source, au pied de la butte, aurait fourni de l’eau parfois potable.
Après la tempête en 1996. Les grands sapins qui la bordaient se sont abattus sur la maison, détruisant une partie de la toiture.
Après la tempête, les réparations sont en cours en 1996.
Photo aérienne du site en 1994
2004.

Après l’incendie

2004.
2006.